Nomade

Par Gérard Xuriguera

Eternel nomade à cheval sur plusieurs continents et autant de cultures, A-Sun Wu a puisé dans ses incessants périples le ferment d’une pratique entamée au cœur de la forêt taïwanaise et poursuivie en Papouasie, en Afrique ou en Amazonie. C’est donc sous le signe de la rencontre entre l’homme et la nature, et on insistera sur le caractère fusionnel du terme rencontre, par opposition à confrontation, que s’inscrit sa transhumance picturale.

En effet, il y est question, d’un côté de «Réunion de famille», de «Liaison amoureuse», de «Mère et enfant» ; de «Roi et Reine» ou de «Couples» , en somme tout ce qui unit, et de l’autre , de «Hibou», de «Buffle» , d’ «Eléphanteau», ou de «Taureau», autrement formulé, d’un bestiaire imaginaire, où la ligne de démarcation entre l’humain et l’animal est généralement poreuse. Mais quel que soit l’objet de la représentation, une végétation luxuriante sous-tend en permanence cette iconographie ramassée, de ses rideaux de lianes intriquées.

Les évocations chahutées de ces rencontres homme /femme/nature/animal, rudes mais exemptes d’agressivité, renvoient irrésistiblement au monde d’avant le verbe, d’avant l’art. Il en émane une grande force symbolique, où l’expérience physique du corps en action, rejoint les poussées intérieures de l’artiste. Mais c’est avant tout la puissance à la fois brute et régulée des flux naturels, liés à la présence crispée des protagonistes de sa narration, qui confère aux compositions de l’artiste taïwanais, leur teneur émotionnelle. Car au large des séductions convenues, sa syntaxe cultive une âpre expressivité angulaire, où les corps et les visages réduits à l’essentiel de leurs configurations, se coulent dans une suite de réseaux linéaire tendus. Par conséquent, ici, pas de figure intacte, mais une conjonction de forme elliptiques incisées de faciès sommaires et cabossés, de masques ricanants, d’orbites saillantes, d’anatomies démembrées, qui nous conduisent en terre expressionniste, avec en surplomb, ses accents primitivistes.

Parallèlement, la sculpture d’A-Sun Wu ne s’éloigne pas de ses thèmes fondateurs. En bois ou en métal polychrome, découpées avec autorité, limitées au rouge et blanc, d’une éloquence austère dans leur courbe emblématique, toujours à résonance animalière, échos de ses pérégrinations autour du globe, ses pièces sont enrobées d’humour. Par ailleurs, ses céramiques aux volumes bombés et à la chromie volontiers sourde, patiemment travaillées par le feu, nous offrent le galbe lisse ou taraudé de leurs épidermes. La forme nue se suffit alors à elle-même pour faire parler la matière et affirmer son impact.

On ne présente plus A-Sun Wu. Artiste complet, reconnu en Asie et en Europe, son œuvre grave, ludique et singulière, ne transmet pas la vie : elle est la vie-même.


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