Il y avait une fois un monde. On avait fini par comprendre, si ce n’est admettre, qu’il avait été bâclé, qu’il était inachevé. Et ce certitudes scientifiques, assuraient qu’il en était ainsi depuis des millions d’années ; d’autre, à cause de leur foi, ne décomptaient que les quelques milliers d’années d’un calendrier théologique. Ce qui ne changeait rien à l’état d’un monde qui, irrémédiablement marqué par des débuts déplorables, devenait sans cesse plus complexe. Et plus cette complexité se ramifiait, s’enchevêtrait, s’embrouillait, plus les certitudes se délitaient, plus les repères se désagrégeaient.
« …. »
Et l’on ne parvenait pas à obtenir de répondre qui vienne à bout de cette complexité-là. L’on n’en obtenait pas davantage à propos de la diversité des matériaux qu’il avait pu utiliser. Ceux-ci allait de la toile tendue sur châssis au pot d’échappement, du crâne à l’écorce, de la planche rongée à l’outil rouillé. Le désarroi était porté à son comble lorsque l’on pouvait vérifier que certaines toiles carrées n’avaient ni haut ni bas. Leur équilibre était aussi pertinent quelqu’ait été le côté de la toile dont on avait arbitrairement décidé qu’il serait le « haut ».
Alors on pouvait commencer de se demander si, avec ses œuvres indéchiffrables, dans un monde qui n’avait pas cessé d’être inachevé, dans un tel monde où il était peut-être enfin temps d’admettre qu’il était vain d’espérer que les choses changent, A-Sun Wu n’invitait pas, comme personne, à prendre conscience d’une folle sagesse désencombrée de l’espoir et de ses leurres.
Mais comme référence de ces œuvres, peu fréquentes chez lui, qui sanctionnent l’essentiel par la seule efficience du trait, nous reviendrons au « Baiser ». Dans cette structure à l’acrylique sur bois, à ne pas confondre avec « Couple », de 1999, également sur bois, dont la surface montre deux figures reconnaissables sommairement articulées, l’étreinte est invisible. Ce sont principalement des variations graphiques en triangle et des formes finement quadrillées en arrière-plan, qui définissent le support, en jouant sur les intervalles et les sédimentations tachistes, les brusques ruptures et les enchaînement étudiés, à compter d’une mise en page à claire-voie, d’esprit géométrisant, où le sujet a été absorbé par l’infrastructure linéaire. On peut certes rapprocher la rigueur du « Baiser », de « Mémoire de fermier » ou « d’Histoire du visage » de 1998, car ces deux compositions éludent le représenté, mais hébergent les coloris les plus vifs, qui irriguent autant de tressages en zigzag et de réserves éloquentes.
Parce que cette folle sagesse-là est la seule qui permette de prendre conscience de la complexité et des beautés du monde.