A-SUN WU, L’EXPLORATEUR

Par Michel Nuridsany

A- Sun Wu possède trois ateliers à Taipei. L’un d’eux se trouve au centre de la ville. C’est là que nos allions. Pour se garer dans la rue minuscule, encombrée de véhicules abandonnés dans tous les sens, il devait déranger une camionnettes autour de laquelle s’affairaient des ouvriers du bâtiment d’assez méchante humeur et pas du tout décidés à bouger…A-Sun sortit de sa voiture calmement. Alors leur attitude changea du tout au tout :ils l’avaient reconnu. Ils s’inclinèrent d’un mouvement brusque, plusieurs fois, se hâtèrent avec des mines effarées, déplacèrent leur voiture bien plus qu’il’était nécessaire en jetant à la volée d’innombrables excuses.

Que de fois n’ai-je constaté, autour d’A-Sun Wu, au musée, dans la rue ou dans les halls d’hôtels, ce manège si particulier des regards et des chuchotements qui accueillent quelqu’un de célèbre au moment ou on le reconnaît. Que de fois, qu restaurant, n’ai-je vu s’avancer vers lui des adolescentes aux yeux baissés, qui tendaient en silence une feuille de papier pour qu’A-Sun y inscrive quelques mots, y griffonne un dessin ou y dépose simplement sa signature!

A-Sun Wu est une star.

On le reconnaît dans la rue. Comme on reconnaissait Picasso. Ou Dali. Ou Warhol. Ou plus près de nous Araki…

Araki, je me suis balladé avec lui, l’année dernière, à Shinjuku, la nuit : de partout surgissaient des nués de groupies hilares, âgées de quatorze ans, piaillant « Araki!Araki! » e courant dans tous les sens, comme autrefois faisaient les fans accrochés aux basques des Beatles.

La gloire d’A-Sun Wu est plus paisible mais non moins grande.

Voici l’histoire d’un artiste, adulé au-delà de l’imaginable. Voici l’histoire d’un grand peintre taiwanais doublé d’un homme public qui joue au golf avec les plus puissants et les plus riches personnages du pays, à 5 heures du matin, s’il le faut, pour être à 7 heures, ensuite, à son atelier, qui se sent chez lui l’un des clubs les plus fermés de la capitale ou les murs ne sont couverts que de ses tableaux et d’un Monet acheté 6 millions de dollars, installé sous vitrine, à l’épreuve des balles, j’imagine, qui collectionne les belles voitures et, parmi elles, des Rolls Royce…

Dans l’une d’elle, il m’a conduit toute une journée avec un plaisir qui faisait plaisir à voir. A-Sun Wu se comportait moins comme un nouveau riche que comme un ancien pauvre.

« Vous savez, m’a-t-il dit, je viens d’une famille vraiment pauvre. Maintenant je gagne beaucoup d’argent mais j’ai toujours en mémoire mes anciens désirs, mes anciens rêves. Quand on disait à Sammy Davis junior : « Tous ces diamants, ces pierreries à tes doigts c’est un mauvais goût!… » il répondait : « Je le sais. Mais j’étais si pauvre et, quand j’étais pauvre, j’en avais tellement envie, que, maintenant que je suis riche, je ne vois pas pourquoi je m’en priverais ». « Moi, c’est pareil »… voici l’histoire d’un homme que tout le monde présente comme « l’ami du Président » avant de dire quoi que ce soit d’autre de lui, à 56 ans, rompt avec la pente la plus commerciale de sa production, cesse de se conformer au goût des autres, arrête de se laisser guider par sa seule facilité, pour moins coïncider avec lui-même.

Lorsque je suis entré pour la première fois dans un atelier d’A-Sun Wu, des tableaux étaient disposés un peu partout, contre des chaises, contre des tables, contres les murs ou contre l’une de ces sculptures qu’il rapporte, à grands frais, de ses voyages au Sahara, en Nouvelle-Guinée, à Timor ou bien à Bornéo, déroulant sur quelques dizaines de mètres carrés toute une vie d’artiste dans un grand chaos de couleurs, de styles, de percées, de répétition en séries, d’éclaires.

Sur le coté gauche, un peu en retrait, des vieilles planches avaient été utilisées comme support pour des peintures ou se déployaient, en avancées rèches, des formes bizarres recouvrant toute la surface du bois en déhanchements anguleux, zébrures rapide. Immédiatement ces œuvres avaient attiré mon attention. De format modeste, elles paraissaient pourtant avoir été mises à l’écart par l’artiste qui peint d’ordinaire sur toile. J’y revins très vite.

Là, me-semblait-il, se concentrait tout ce qui constituait la personnalité vraie de cet artiste protéiforme. Dans une sorte d’aller-et-retour incessant entre figuration éclatée et abstraction discrète, entre tension extrême et dédandade baroque. Dans une luxuriance presque sauvage.

J’ai vu, en visitant les autres ateliers, après, que ces œuvres là n’étaient ni sans cousinage ni sans antécédents; mais elles sont restées, pour moi, comme les figures emblématiques de cet art cannibale, attrape-tout.

Cet art, j’en ai cherché le centre : il n’y en avait pas. J’en ai cherché la logique : elle était absente. A-Sun Wu navigue à vue, sans théorie, presque sans Histoire. Explorateur de l’indicible, il s’aventure sans protection dans l’incertain comme dans le risque.

« Le jardin aux sentiers qui bifurquent » de Borgès, c’est cela.

A propos, lorsque le même Borgès dit « J’écris avec le sérieux d’un enfant qui s’amuse », c’est cela aussi.

Il y a un bonheur de peindre chez A-Sun Wu, presque innocent, qui irradie, qui transfigure même les œuvres moins inspirées, qui balaie les réticences lorsqu’elles existent. Qui enchante.

A-Sun Wu insiste beaucoup sur le fait qu’il n’y a pas de sens pour regarder ses tableaux, du moins ses derniers, et, pour souligner la chose, il les signe parfois en bas et en haut de la même toile, à travers, par conséquent. On ne négligera pas l’indication. Elle peut paraître secondaire mais, d’emblée, elle situe un des enjeux de cette peinture : casser l’espace, redéfinir la place de l’homme dans l’univers. Rien de moins. Protestant, A-Sun Wu se dit « intéressé » par le bouddhisme, par sa conception du monde qui oppose à la conception occidentale, catholique ou christianisme de l’homme affronté ou confronté à l’univers, une attitude et une appréhension harmonieuse de l’homme faisant partie du cosmos.

On comprendra mieux, dans cette optique, qu’il affirme s’être trouvé quand son moi s’est perdu.

Certains pourraient être tentés de rapprocher cette façon d’être au monde des conceptions de Banchot : « Écrire c’est briser le lien qui unit la parole à moi-même », « Ce qui s’écrit livre celui qui doit écrire à une affirmation sur laquelle il est sans autorité »…Ils n’auraient pas tort, au fond, car ce qui dit Blanchot concerne tous les artistes. Mai il s’agit là d’autre chose encore, qui hante la pensée de l’Asie, qui imprègne l’être de cette partie du monde qui utilise des kanji pour réfléchir et pour parler. Manière de dire et de conceptualiser associative qui s’oppose à notre mode analytique et surtout à la phrase française qui s’organise à partir du sujet avec le verbe qui suit et puis le complément.

Il convient, alors, peut-être de dire-autant que faire se peut- qui est Q-Sun Wu. D’où il vient. Dans quel environnement il s’est construit » ce qu’il a vécu. Ainsi on apprivoisera (peut-être) ce qui échappe.

Ses parents vivaient au nord de Taiwan dans un petit village pauvre. Son père était sylviculteur. Il parcourait les bois, la montagne, examinait l’état de la forêt, décidait des coupes nécessaires. Il emmenait parfois son fils avec lui. D’une famille de trois fils et d,une fille, A-Sun est le plus jeune des garçons. « J’étais donc très choyé », dit-il. De ses virées dans les bois, il a gardé, d’une part, le goût de la bougeotte qui, même au plus fort des séances de travail, le conduit à changer l’atelier trois ou quatre fois par jour(« Je ne peux pas rester plus de trois heures dans un atelier » dit-il), d’autre part, une remarquable connaissance du bois (il peut déterminer, d’un simple coup d’œil, l’age d’un arbre et sa qualité) et enfin un amour des arbres qui l,a fait ramener du désert saharien, à grand frais, et non sans mal, un tronc énorme dont les « rides » l’avaient ému. Cet arbre est aujourd’hui, par des chaînes, au plafond de l’un de ses ateliers.

A l’école, il était mauvais élève, ratait ses examens, redoublait souvent malgré la prédiction d’une voyante : « Il sera le premier de son école ». Son père se désespérait : que faire de lui? Il envisagea même de le mettre en apprentissage dans un garage… Heureusement sa mère obtient qu’il parte à Taipei. Là existe une école secondaire privée, fondée par des missionnaires canadiens, susceptible de l’accueillir. Certes, là aussi, il faut passer un examen d’entrés. Mais, dit A-Sun Wu sans fausse modestie, « Cette école, dont le directeur pratiquait la musique, était ouvert à l’art, moins exigeante sur le reste ». Il est reçu. Là il découvre le christianisme. Là il découvre surtout ce qu’il aime : l’art et il commence à travailler dur. Si bien qu’il réussit à entrer dans la meilleure université de Taipei.

Ses parents attendaient peu de lui. Le simple fait de le voir continuer ses études les satisfait. Étaient-ils heureux de le voir s’orienter vers l’art? La réponse est la même : ils n’attendaient rien de lui, donc, ça ou autre chose…

L’art, ils ne savaient pas très bien ce que c’était. Sa mère avait simplement entendu dire que la vie d’artiste n’était pas facile…son père, lui, n’avait jamais vu un seul film de sa vie.

L’existence dans la maison familiale était « spartiate ». Quand, au retour de l’école, le petit A-Sun, qui se dit « choyé », s’arrêtait pour parler avec un copain, son père le réprimandait vertement. Dès qu’il rentrait, il devait, en effet, aller travailler dans les champs jusqu’à la tombée du jour. Il détestait l’école mais plus encore les vacances : il devait alors travailler dehors toute la journée, par plus de 40° au soleil. Le bonheur? Les fêtes du nouvel an : il pouvait s’arrêter de travailler deux jours entiers. « Quand je suis allé en Afrique, je n’ai pas trouvé que la vie était si dure », dit-il en souriant.

Après, lorsqu’il participera à des émissions à la télévision, sera sélectionné pour le biennale de Sao Paulo, son père se rengorgera. Mais, en 1980, quand un grand journal organise une exposition itinérante dans l’île avec un choix de quarante artistes, ou A-Sun figure, l’exposition s’arrête dans le village, le père, tout fier, interroge ses amis : que pensent-ils de son fils? « C’est le pire de tous », disent-ils, trouvant tout cela bien mauvais. Il exposait alors des œuvres inspirées par les masques africains.

Le système éducatif asiatique est un broyeur terrifiant qui lamine l’être, arrase la moindre aspérité. Il déteste le non-conformisme avec violence. L’extirpe s’il résiste un peu.

La chance d’A-Sun Wu fut d’être un cancre. D’être rejeté. Son autre chance fut de voyager assez tôt.

D’abord ce fut l’Espagne.

A cause de goya.

A-Sun Wu en avait eu la révélation dans une exposition de ses gravures, à Taiwan. « J’étais fou de lui, de ses noirs, dit-il. J’allais tous les jours au Prado rien que pour lui ». de son séjour en Espagne il dit que ce fut la meilleure période de sa vie, qu’il y changera radicalement sa façon de penser et d’être. « A Taiwan, dit-il, on est très soumis. Pas en Espagne. C’est un peuple latin qui s’exprime avec force et feu et s’amuse. Qui chante. Qui danse. Mais moi, quand on me demandait de chanter, je ne connaissais que des chants militaires. Je me suis demandé : Comment se fait-il que je sois comme ça? Peu à peu, j’ai appris à m’extérioriser, à m’exprimer».

A l’Académie le professeur lui dira immédiatement, dès le premier cours : « Techniquement c’est bien ce que tu fais, et, si tu veux, tu peux gagner ta vie avec ça; mais tu seras un mauvais artiste. Ce que tu peins est très joli mais superficiel. A toi de décider ce que tu veux être ».

Il appréciera la franchise du professeur : « Je peignais d’après des œuvres vues dans des catalogues, le professeur, lui, m’expliquait qu’à l’intérieur de l’arbre coule la sève… »

Ce même professeur l’incitera à partir pour New York : c’était la belle époque, les années 70… « et puis, dis A-Sun Wu, j’aimai les grands formats. L’Amérique était le pays idéal pour ça ». Mais il doit rentrer à Taiwan pour régler quelques affaires. Il pensait revenir en Espagne, y rester ( et tant pis pour le grand format…), mais il fait un « détour » par New York. Il restera là quatre ans. De 1973 à 1976.

Sa fille y naîtra. Il gagnera sa vie comme chauffeur de taxi ( il m’a raconté cela en pilotant sa Rolls) de 7 heures du soir à 3 heures du matin. Levé à 9 heures il peint, va rendre visite aux galeries, présente son travail. « Trop européen » lui dit-on…

« A New York, remarque-t-il, les riches aiment acheter les peintures réalistes représentant les rues, la vie familière. L’époque était à l’hyperréalisme. J’ai été obligé de me plier à cela ». A-Sun Wu a conservé quelques toile de cette époque. Il s’agit là plus de simples curiosités ou de variations virtuoses sur les recomposer autrement qu’il annonce les œuvres les plus récentes.

Une galerie l’accueille. Il commence même à vendre assez bien ses toiles (A-Sun Wu a toujours bien vendu ce qu’il faisait). Mais, dit-il, au bout d’un an, j’ai eu envie de changer. J’en avais asse de l’hyperréalisme ».

Toujours la bougeottes…

La galerie ne l’entend pas de cette oreille : « J’ai passé un an à faire la promotion de cette peinture, dit-il, maintenant tu veux changer. Pas question! » il est resté là un an de plus : « Je n’étais pas très sociable, je ne parlais pas bien anglais, j’étais toujours à part, même dans ma galerie qui ‘avait que sept artistes sous contrat».

C’est là que se situe un de ses épisodes qui changent un vie. Deng Xiao Ping vint à Washington. Tous les magazines, bien sûr, en parlèrent. On le vit en couverture du « Time Magazine ». C’était un événement. Comme cela arrive souvent, en pareille circonstance, des livres, en grand nombre, virent le jour, parurent ou reparurent. C’est ainsi qu’A-Sun Wu put lire l’histoire de sa vie et, à la suite, quelques-uns des livres qui traitaient de la corruption et de la misère au début du siècle, en Chine. Ces livres étaient interdits à Taiwan. Vous alliez en prison si on vous surprenait en leur possession.

Deng Xiao Ping et Chou En Lai avaient vécu à Paris. C’est cela qu’il remarqua entre tout autre épisode de leur vie. « S’ils étaient restés en France se dit-il, ils seraient devenus de bons ingénieurs ou de brillants avocats, mais ils ne seraient jamais qu’un devenus les leaders qu’ils ont été. Si je reste en Amérique et que je demande la nationalité américaine, je ne serai jamais qu’un petit artiste américain de plus…je pars! » Rentré à Taiwan, il s’en va enseigner à l’université où il fut étudiant, donnant ainsi raison ( avec quelque retard) à la voyante de son enfance. En même temps, il découvre le marché de l’art japonais. « A la fin des années 70, dit-il, l’économie du japon était extraordinairement florissante. Les artistes étrangers vendaient ce qu’ils voulaient. Mes fiances étaient au beau fixe. A partir de 1976, j’ai gagné beaucoup d’argent ». que peignait-il en ce temps-là? Des rues hyperréalistes encore un peu, des paysages européens. Ces paysages-là plaisaient beaucoup. Le critique japonais Shi-Ichi Segi écrit alors, sur lui, un texte où il reconnaît, en substance, que les vues hyperréalistes sont belles, les paysages superbes, que ce peintre brillant peut tout faire et qu’il a, sans doute, beaucoup de talent.; mais , se demande-t-il : » Qui est A-Sun Wu? »

A-Sun Wu a, entre autres qualités, celle d’écouter les critiques et d’un tirer profit. Qui est –il? Il se le demande aussi. Pour se trouver, il décide de partir en Afrique. « Les moines, s’ils se retranchent dans des monastères, c’est pour se couper du monde où les soucis les dérangent, dit-il. En Afrique, c’est un peu ce que j’ai fait, je n’avais pas besoin de jouer un rôle, c’était merveilleux! » il redécouvre la beauté sauvage de la nature des corps qui aimait alors qu’il parcourait la forêt avec son père. Il redécouvre son enfance. Il se débarrasse de sa gangue.

Formellement il est sensible à la beauté des corps qui, sous le grand soleil d’Afrique, paraissent taillés à la serpe, sans raffinement. Bruts. Il peint tout cela à l’aide de grandes hachures, pour rendre, dit-il, le scintillement de la lumière. La structure des visages, peu à peu, vole en éclat, se réorganise selon une logique autre. Il reconnaît là l’influence de Picasso.

Une influence qui dure.

On peut s’interroger sur ce choix de l’Afrique lorsqu’il décida de partir, en quête de lui-même. Comme si le souci de vérité devait employer des chemins détournés pour frapper comme la foudre, après. Comme si l’on redoutait la violence de ce qui pouvait advenir.

Car c’est à une autre scène primitive qu’il se prépare en substituant aux masques nègres de Picasso les modèles vivants.

Car le voyage en Afrique représentent encore une fuite, loin de lui-même; c’est un substitut. Cette scène primitive, c’est à Taiwan qu’elle existe dans une vérité chinoise et aborigène mêlées.

La vérité explose dans les tableaux les plus récents, avec ces formes rouges, cerclées de sombre, sur fon clair, souvent blanc, semblable à celles qui figurent sur les boucliers des aborigènes qu’il s’en va visiter dans la région, à Irian Java ou sur les bateaux des tribus païwanaises où l’on voit des serpents qu’on dit très venimeux et qui sont des ancêtres.

Vérité qui s’exprime dans un dynamisme jamais vu au cœur la production, pourtant vigoureuse, de l’artiste. Les couleurs employées sont symboliques; rouge pour le sang, la vie, l’énergie et, au-delà, le bonheur, blanc pour la paix, noir pour la tolérance. Symbolisme primitif, symbolisme essentiel, profond, qui ouvre sur les vérités les plus enfouies, les plus retorses de l’être.

« Récemment, raconte A-Sun Wu, des villageois sont venus voir une des mes expositions. Ils ont trouvé qu’il y avait une sorte d’esprit fantôme dans mes tableaux. Ça m’a plu ». Oui, même cela y est, qui frôle le chamanisme, cet animisme venu de Sibérie qui rôde en Corée, à Bornéo, à Taiwan. Le chamane, disloqué os par os, se reconstruit, après un long coma traversé de songes, pour redevenir lui-même, vraiment, dans un rapport au monde profondément change.

Avec le vide aussi.

A-Sun Wu assume là tous les héritages. Ses figures, prises dans un mouvement qui en dissout les limites, sont cubistes, expressionnistes, primitives, chinoises à la fois.

Lorsqu’il s’enfonce dans une dérive plus précisément primitive, il ne s’inspire plus d’un art – africain ou asiatique- en particulier, il en retrouve naturellement, en lui-même, la fulgurance et la magie, l’innocence et la simple beauté. La remise en question a été profonde. Mais c’est du sein d’une œuvre, avec ses constantes ( la présence du visage notamment, l’énergie), que surgit cette débauche de peintures récentes, d’une fraîcheur, d’une jeunesse incomparable.

Parfois l’on sent que reviennent sous la main de l’artiste des formes échappées à De Kooning ( une autre façon de retrouver l’influence de Picasso), des relents de Bacon dans la façon d’exagérer l’expression violente d’un corps. Parfois, lorsque le déséquilibre se fait en faveur d’un excès de figuration, on perçoit alors, trop nettement, le bâti et le charme se rompt. Mais, lorsqu’il opère, lorsqu’A-Sun Wu donne libre cours à ses démons cannibales, lorsqu’il livre la toile à la férocité des angles et des couleurs, lorsqu’il s’abandonne à « ce que dit la bouche d’ombre » dont parle Victor Hugo, lorsqu’il accepte d’être lui-même dans sa singularité inentamable, alors il est grand, vraiment grand.

A-Sun Wu n’a besoin que d’exigence.

Désormais la vérité le conduit.


<