A-SUN WU

Par Gérard Xuriguera

Comme sa peinture, l’œuvre sculpté d’A-SUN WU chevauche les mêmes réminiscences ethniques engrangées au cours d’une existence nomade, qui l’a vu côtoyer les métisseurs de matières et les malicieux alchimistes du songe des communautés les plus reculées d’Amazonie, d’Afrique ou du Pacifique Sud.

Relayés par un esprit aventureux et rendus par une écriture à son usage, ces vestiges patrimoniaux ont donné corps à toute une faune hybride plus facétieuse que grave, qui ne renvoie ni à un document anthropologique, ni à une dérive folklorique, mais à une relation décalée aux coutumes et aux modes expressifs des peuples supposés primitifs. Il ne s’agit donc pas de dévotion au référent, mais de sa libre interprétation.

Pourtant, au commencement, rien n’est gagné pour le taiwanais de Paris. Se sentir attiré par l’art, quand on naît au sein du modeste cadre familial d’un hameau rural du nord de son île, ne prédispose pas aux aspirations esthétiques et implique une grande force intérieure. Vécue auprès d’un père forestier, que le jeune A-SUN WU devait parfois épauler dans sa tâche, cette situation allait forger l’indépendance de son caractère, son penchant pour la solitude et les secrets règne végétal. Alors porté par son appétit de connaissance et sa vocation précoce, il part s’informer du monde et se former à d’autres regards : de Taipei à Madrid, où il conforte ses acquis, et des Etats-Unis, où il séjourne et expose déjà, aux contrées aborigènes et des Irian Jaya.

Par conséquent, miroir d’une expérience directe nourrie d’imaginaire, concomitante à l’ensemble des legs glanés pendant ses périples, son langage s’accompagne bientôt d’une charge emblématique d’ordre primitiviste, qui engendre un bestiaire à mi-chemin de l’humain, où la verve enjouée du fabuliste rejoint le royaume des images premières. On n’y recense pas de monstres, à peine quelques taureaux inoffensifs ou des crocodiles plutôt placides, et de se déployer une ronde imaginaire chamarrée globalement cocasse, émaillée de chats narquois, de cochons pansus, de volatiles au long bec, de sorte de pingouins scrutateurs, de faciès masqués ou à tête de gorgone, de chiens fureteurs bas sur pattes, de moutons tubulaires … auxquels s’agrègent des guerriers lance en main, des crânes archaïques ou une détonante mariée-rose, qui fait un clin d’œil aux « Menines » de Vélasquez.

Passé de la pierre au bronze et au bois, après une période totémique ligneuse marquée par les mêmes signes fédérateurs, A-SUN WU trouve son vocabulaire tactile dans les métaux récupérés et les objets déchus, qui, par son tour de main ingénieux, s’inventent un nouveau destin. Scies fatiguées, cadres et roues de bicyclettes abandonnées, selles en forme de museaux, hachoirs édentés, vieilles pièces d’horlogerie, diables disloqués, cylindres cabossés, ustensiles industriels ou domestiques … tous ces objets cassés par les ans et les caprices d’une société repue, façonnent l’itinéraire du sculpteur. Mais auparavant, il les trie, les découpe, les calibre, les assemble et les soude avec un sens précis des cadences et des ruptures pour instruire sa déambulation rêveuse. Puis, il les peint à l’acrylique au moyen de couleurs vives, généralement le rouge, le blanc et parfois le noir. Les tonalités chromatiques, élues pour leurs connotations symboliques, rappellent celles des rituels festifs et des travaux artisanaux des tribus Asman, Yamai et Lonyu en Papouasie, dont l’artiste s’est imprégné sur place : le rouge suggérant la vie et l’énergie, le blanc la paix et la sérénité, le noir une menace. Ainsi requalifiés, ces objets acquièrent une âme : une apparence animale.

Maintenant, au fil de ces accumulations organiques, nimbées de la somme des souvenirs géo-affectifs qui ont conditionné son parcours, A-SUN WU élabore une sculpture qui va bien au-delà de son enveloppe ludique. Resté disponible et curieux, le succès venu, il est conjointement demeuré fidèle à sa mémoire : une mémoire qui a transcendé ses origines.


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